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Le couple Manouchian entre au Panthéon

Christian Rioux

« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent

Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps

Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant […]

Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant. »

Ces 23 résistants immortalisés en 1961 dans L’Affiche rouge par Léo Ferré, sur des paroles d’Aragon, étaient des combattants étrangers. Regroupés à partir de 1942 par le Parti communiste français dans les groupes armés des Francs-tireurs et partisans – main-d’oeuvre immigrée (FTP-MOI), ils furent fusillés le 21 février 1944 par l’occupant nazi au fort du Mont-Valérien. Quatre-vingts ans plus tard jour pour jour, deux d’entre eux, Missak et Mélinée Manouchian, entreront au Panthéon mercredi. Ces deux Arméniens qui combattirent pour la France y rejoindront les Français Jean Moulin, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillon, Jean Zay et Pierre Brossolette.

Cette cérémonie se veut un hommage à l’universalisme républicain et à ces « Français de préférence » (selon la formule d’Aragon) qui sont tombés pour la France, a déclaré Emmanuel Macron à l’occasion d’une entrevue accordée au quotidien communiste L’Humanité. À quatre mois des élections européennes, le président n’a pu s’empêcher de lancer une pique au Rassemblement national en affirmant que « les forces d’extrême droite seraient inspirées de ne pas être présentes ».

Alors qu’elle a assisté à la cérémonie honorant les victimes françaises du Hamas (mais pas à celle en l’honneur de Robert Badinter), sa leader, Marine Le Pen, a dénoncé l’« instrumentalisation politique » d’un « moment d’unité de la nation ». « Le président n’a pas à trier qui sont, selon lui, les bons ou les mauvais élus de la République française », a ajouté son dauphin, Jordan Bardella, en jugeant son parti « parfaitement irréprochable, ce qui n’est peut-être pas le cas de tous les mouvements politiques dans l’histoire ».

Bardella voulait ainsi souligner que, si des milliers de militants communistes ont certes donné leur vie dans la Résistance, le PCF respecta scrupuleusement, pendant tout le début de la guerre, le pacte germano-soviétique de non-agression signé par Hitler et Staline. Du 10 mai 1940 à l’attaque allemande contre l’URSS, le 21 juin 1941, les communistes abandonnèrent toute politique de défense nationale et négocièrent même avec l’occupant la reparution de L’Humanité.

Un vrai débat historique

Au-delà de ces escarmouches politiciennes, l’entrée du couple Manouchian au Panthéon n’en a pas moins provoqué chez les historiens un véritable débat. Le 24 novembre dernier, une tribune du Monde signée notamment par le Prix Nobel Patrick Modiano, le philosophe Edgar Morin, le cinéaste Costa-Gavras et la comédienne Anouk Grinberg enjoignaient à Emmanuel Macron de faire entrer au Panthéon, avec Missak Manouchian, « tous ses camarades » afin de ne pas « blesser l’internationalisme qui les animait ».

Pour nombre d’historiens, comme Annette Wieviorka (Anatomie de l’Affiche rouge, Seuil) et Stéphane Courtois (Le livre noir du communisme, Robert Laffont), cette « panthéonisation » des deux seuls résistants qu’a retenus l’historiographie communiste est en effet « un non-sens historique ». L’expression est de l’historien Sylvain Boulouque, spécialiste des mouvements communistes et anarchistes, qui critiquait en juin dernier à  late.frle choix d’Emmanuel Macron d’accréditer une « légende […] construite a posteriori par son parti, sa veuve et des groupes d’intérêts cherchant à privilégier une figure de cette Résistance plutôt qu’une autre ».

Missak Manouchian, dont le caractère héroïque ne fait pas le moindre doute, n’a en effet dirigé les FTP-MOI que pendant trois mois. Sa principale opération a consisté à exécuter le colonel SS Julius Ritter, en charge de l’envoi des jeunes Français dans les camps de travail. Bref, Missak Manouchian n’aurait été ni plus ni moins courageux que les 22 autres membres de son groupe.

C’est pourquoi Annette Wieviorka estimait dans Le Monde que « parler du “groupe Manouchian” ne correspond à rien. Il n’a pas constitué de groupe : il a fait partie d’une organisation globale, où il a exercé des responsabilités ». L’expression « réseau Manouchian » est au demeurant tardive, précise celle qui refuse aussi de se contenter du compromis qui consistera à consacrer au groupe une simple plaque rappelant le nom des autres combattants.

Effacer le rôle des Juifs

Plus fondamentalement, ces historiens estiment qu’après la guerre, le PCF a favorisé le nom de l’Arménien Manouchian pour effacer celui des Juifs. Car si les FTP-MOI étaient arméniens, roumains, polonais, italiens, tchèques, espagnols et français, ils étaient majoritairement juifs. Stéphane Courtois estime que ces derniers représentaient 62 % des combattants parisiens (dont 16 femmes).

C’est encore plus vrai pour les 10 résistants visés par la célèbre Affiche rouge placardée à 15 000 exemplaires par l’occupant allemand en février 1944 dans les villes et les villages de France. Sept d’entre eux étaient Juifs, et la campagne dénonçait non pas d’abord ces étrangers que l’on célébrera mercredi, mais une « armée du crime » essentiellement « au service du judaïsme ». Pour Annette Wieviorka, « la finalité même de l’affiche était antisémite », et non pas xénophobe.

Or, le mot « juif » n’apparaît pas une seule fois dans le poème d’Aragon (Strophes pour se souvenir) rédigé en 1955 et inspiré par la poignante lettre qu’adressa Missak Manouchian à sa femme avant de mourir.

Pour Stéphane Courtois, ce n’est pas un hasard. Le « petit père des peuples » venait alors de mourir, mais l’URSS sortait d’une vaste campagne antisémite déclenchée par Staline. Elle fut marquée par de nombreuses exécutions et le célèbre « complot des blouses blanches », qui entraîna des déportations massives de Juifs en Sibérie. Un peu plus tôt, à Prague aussi, le procès Slansky avait condamné Arthur London, auteur de L’aveu, pour « complot sioniste ».

Selon l’historien, qui s’exprimait dans L’Express, Manouchian est alors « devenu une figure-écran qui a facilité l’occultation de la participation et de l’engagement spécifique des Juifs dans les rangs de la lutte armée communiste ». Pour Courtois, le choix de Manouchian représente ni plus ni moins qu’une « erreur de casting », ce dernier étant d’ailleurs plus un intellectuel qu’un chef militaire.

« Une mémoire fallacieuse » ?

Depuis plusieurs années, on sait aussi que le PCF a largement exagéré sa contribution, néanmoins réelle, à la résistance en s’autoproclamant « le parti des 100 000 fusillés ». Avec le temps, le chiffre passa à 75 000. En 2015, un groupe d’universitaires ne recensa pourtant que 4500 fusillés dans toute la France, dont environ la moitié aurait été communiste.

Nombreux sont ceux qui estiment que, au moment de l’entrée au Panthéon, ces débats ne devraient pas faire de l’ombre à ces héros qui n’ont pas démérité de la nation et qui sont devenus un symbole d’unité nationale.L’historien Denis Peschanski critique dans Libération « une fausse polémique » puisque « la panthéonisation part toujours d’un symbole ». Évoquant la distinction entre mémoire et histoire, le rédacteur en chef des pages Histoire du magazine Le Point, François-Guillaume Lorrain, écrit de son côté que « ce rôle d’incarnation l’emporte sur les considérations historiques ». Une opinion à l’égard de laquelle Stéphane Courtois jugeait au contraire que, « face à une mémoire fallacieuse, la vérité historique ne se négocie pas ».

https://www.ledevoir.com/monde/europe/807580/couple-manouchian-entre-pantheon?

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