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La reconnaissance du génocide arménien comme outil de lecture des relations de la Turquie avec ses alliés

Rémi Carcélès

En reconnaissant officiellement le génocide de 1915, le 24 avril 2021, le nouveau président américain a acté son ambition diplomatique de renouer avec l’interventionnisme délaissé par son prédécesseur. Cette décision est présentée comme profondément “humaniste” par des commentateurs politiques ravis du départ de Donald Trump. Elle doit cependant être analysée sous un angle plus réaliste afin d’être comprise dans la continuité de la politique étrangère de l’administration Obama dont Joe Biden était l’un des piliers. La thèse défendue par Rémi Carcélès, doctorant en science politique à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence est en effet que la dénomination du massacre des Arméniens par les Turcs est un outil qui permet de comprendre l’évolution du rapport géostratégique entre la Turquie et ses alliés, au premier rang desquels les Etats-Unis.

Le génocide de 1915, stèles et mémoriaux, en France et ailleurs

La reconnaissance du génocide arménien par le président Biden, à l’occasion du 106ème anniversaire commémorant les massacres perpétrés par l’Empire Ottoman, a été soulignée par certains experts comme le retour d’une dimension “humaniste” [1] dans les relations internationales américaines. Soulignant par-là le profond espoir global né du changement de personnalité dans le Bureau Ovale qui caractérise une large “Biden-mania” [2] se diffusant en France ces derniers mois, cette lecture idéaliste de la décision diplomatique du nouveau chef d’Etat américain se base essentiellement sur la comparaison avec la politique ouvertement “néo-isolationniste” [3]. de son prédécesseur.

Pur produit du système américain, longtemps sénateur (1973-2009) avant de devenir le vice-président de Barack Obama durant ses deux mandats (2009-2017), Joe Biden a en effet travaillé de longue date sur nombres de dossiers relevant de la politique étrangère américaine avant son élection au poste suprême en 2020. Plus qu’un hypothétique come-back de la tradition idéaliste du président Woodrow Wilson (1913-1921), qui prônait l’application prioritaire des droits humains sur la scène internationale, les récentes déclarations de l’administration Biden dans le domaine doivent plutôt être analysées sous l’angle du “smart-power” [4]. .

Cette doctrine a notamment été décrite par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton (2009-2013) comme l’ambition de défendre les intérêts de l’hyper-puissance américaine à travers le monde non plus seulement à travers l’usage principal des outils coercitifs de domination, mais également grâce à l’utilisation de plus en plus poussée d’un soft-power [5] permettant d’imposer ses vues sans en passer forcément par la force. Un maniement généralisé des moyens culturels, financiers, institutionnels et donc juridiques, qui se distingue certes des menaces à peine déguisées régulièrement utilisées pendant quatre ans par Donald Trump [6] , mais qui ne change rien à la volonté d’influence globale de Washington.

Un message clair à la Turquie

L’emploi du terme “génocide” par son successeur doit dès lors autant être analysé du point de vue de la reconnaissance tant attendue de la mémoire arménienne que du changement d’attitude des Etats-Unis à l’égard de la Turquie. Longtemps évoquée par les candidats à la Maison Blanche durant, ou avant, leurs campagnes d’accessions à la Maison Blanche (Gerald Ford, Barack Obama, Hillary Clinton …) – et même utilisée par le président Ronald Reagan en 1981 lors d’une journée de commémoration-, la qualification officielle des événements de 1915 en terme de génocide, à l’occasion d’une conférence de presse spécialement organisée pour l’occasion, marque la volonté d’envoyer un message clair à un allié historique de Washington.

Principal poste avancé de l’OTAN à l’Est depuis la Guerre Froide, la Turquie représente en effet historiquement une nation à ne pas contrarier pour les Etats-Unis et leurs alliés. De ce fait, la société américaine, ainsi que celles de nombreux pays occidentaux, a longtemps débattu en interne de la légitimité du qualificatif de génocide appliqué au massacre systématique des Arméniens lors de la première guerre mondiale. Ainsi, au début des années 2010, des médias comme CNN, le Huffington Post et le Washington Times tenaient par exemple chacun des positions différentes entre la reconnaissance sans ambiguïté, l’évocation d’une “version arménienne de l’Histoire”, voire l’ouverture de leurs colonnes à des négationnistes assumés. Un véritable lobby soutenant la vision de l’Etat turc dans le débat allant jusqu’à se former dans l’ensemble du Bloc de l’Ouest. Nommé Turkish Coalition of America, il rassemblait en son centre les diplomates représentant évidemment Ankara autour desquels gravitaient des chercheurs aussi connus que Bernard Lewis, tous signataires, en 1985, d’une pétition rassemblant 69 historiens s’opposant à une résolution du Congrès affirmant la réalité du génocide [7].

Or, si le débat a longtemps fait rage entre scientifiques, avec la publication d’une pétition antagoniste signée par 126 autres intellectuels quinze ans plus tard, le sujet a dans le même temps fait l’objet d’un large consensus au sein de la sphère politique. Puisque l’immense majorité des 50 Etats américains le reconnaissaient avant la prise de position de Joe Biden au niveau fédéral, et que le Congrès fut le théâtre de plusieurs propositions de lois trans-partisanes allant dans ce sens dès le cinquantième anniversaire des événements de 1915. Une mobilisation des parlementaires et des gouverneurs sur l’ensemble du territoire qui s’explique par l’importance du vote arménien-américain, lui-même structuré sous forme de différents lobbies dans nombres de ces Etats [8]

Une affaire d’historiens

Malgré ces mobilisations communautaires qui peuvent expliquer en partie l’engagement des élus locaux, les administrations successives refusèrent longtemps de s’aligner sur l’évolution du débat parmi l’électorat, et reprirent souvent à leur compte les justifications de l’appareil étatique dans leurs discours protégeant les intérêts diplomatiques occidentaux : à savoir que la reconnaissance était une affaire d’historiens et non de politiciens ou encore qu’une prise de position officielle de Washington prenait le risque de diminuer les chances de réconciliation entre Erevan et Ankara. Mais ces arguments se révélèrent fallacieux à mesure que le consensus se fit jour au sein de la communauté académique – parmi les 69 pétitionnaires négationnistes, un seul campe en effet sur sa position initiale depuis 1985 [9] et que les fragiles tentatives de rapprochement entre l’Arménie et la Turquie échouèrent les unes après les autres malgré la non-prise de position américaine.

Dès lors, le véritable point de bascule dans le changement de position de la Maison-Blanche n’est pas à chercher du côté d’une évolution scientifique ou politique récente aux Etats-Unis, mais véritablement au sein même de la dégradation de la relation entre Washington et Ankara. Joe Biden s’étant en effet prononcé pour la reconnaissance du génocide en tant que parlementaire, avant même de devenir vice-président, tout comme par ailleurs Barack Obama alors sénateur, il faut se poser la question de ce qui a pu changer du point de vue diplomatique entre les deux extrémités géographiques de l’OTAN, depuis 2016.

Pilier de l’alliance atlantique au moment de la Guerre Froide, la Turquie n’a pas cessé d’être un allié primordial des Etats-Unis avec la dissolution de l’URSS au début des années 1990. Bien au contraire, avec la fin du conflit mondial bipolaire et de la course à l’armement qui le caractérisait, les Américains ont profité de leur nouvelle situation de leadership global pour développer une nouvelle stratégie de domination – plus économique que militaire – à l’international. Une imposition du libéralisme politique et financier dont la Turquie devint à nouveau l’une des têtes de pont orientale sous l’administration Clinton, qui fit du pays un hub énergétique régional à travers la construction d’un gazoduc et d’un oléoduc faisant le pont entre l’Europe et le Caucase, afin d’affaiblir la dépendance de ces régions aux hydrocarbures russes [10], .

Un acteur prépondérant dans la stratégie américaine

Géopolitiquement, malgré l’ambition turque de s’affirmer en tant que puissance régionale non-alignée développée dès la fin de la guerre froide par le président Turgut Özal [11] , puis approfondie par Recep Tayyip Erdoğan à partir de 2002, le pays est resté un acteur prépondérant dans la stratégie américaine moyen-orientale au tournant du millénaire. Ainsi, même si le premier gouvernement du Parti de la Justice et du Développement (Adalet ve Kalkınma Partisi, AKP) refuse de participer à la coalition menée par les Etats-Unis contre le régime de Saddam Hussein, et affirme directement son soutien à la Palestine, il tient également à rassurer son principal partenaire occidental en continuant d’ouvrir ses aéroports à ses avions militaires et en acceptant de nouveau le déploiement de missile balistique américain sur son territoire, à travers la signature d’une déclaration réaffirmant la “vision commune ” [12] des deux nations en matière diplomatique.

De même, malgré les discours enflammés de certains de ses représentants contre la colonisation de la Cisjordanie ou la situation à Gaza, la relation économique et sécuritaire historiquement bonnes entre Ankara et Tel-Aviv – autre poste avancé américain dans la région -, ne fut pas grandement mise à mal quasiment tout au long de la première décennie du XXIème siècle. Ainsi, même après le refroidissement galopant entre la Turquie et l’Israël amorcé depuis 2009 à la suite du refus d’Erdoğan de siéger à-côté du Président Shimon Peres lors du Forum économique mondial de Davos [13], puis de l’incident du navire turc bloqué au large de Gaza par la flotte israélienne alors qu’il tentait d’y apporter de l’aide humanitaire l’année suivante [14] , Ankara demeura malgré tout profondément attaché aux ambitions américaines au moment de l’éclatement des Printemps arabes.

En effet, principal exemple de régime ayant réussi à lier à l’époque le libéralisme politico-économique à l’affirmation d’une identité musulmane conservatrice, le gouvernement AKP fait office alors de principale référence pour les insurgés de la Tunisie à la Syrie en passant par la Libye et l’Egypte, au même titre qu’elle inspire les réformes de gouvernements ayant anticipé la contestation, comme par-exemple au Maroc. Un idéal démocratique qu’entend bien exporter le premier ministre Erdoğan sur tout le pourtour méditerranéen, et qui correspond également aux ambitions du moment du camp occidental pour les dictatures en déroute. Également principal soutien logistique, financier et militaire des rebelles syriens contre l’armée de Bachar el-Assad, Ankara est la seule puissance de l’OTAN qui intervient directement à l’époque dans le conflit alors que les Présidents Obama et Hollande tergiversent encore sur la possibilité d’un soutien militaire. Son statut de poste avancé historique des forces militaires occidentales dans la région s’en retrouve alors conforté, comme l’illustre par ailleurs la nouvelle installation de missiles Patriot américains sur son territoire en 2013 [15]

Les revendications des printemps arabes

Une première bascule va néanmoins opérer la même année dans la relation entre la Turquie et l’Occident, dont les Etats-Unis, avec les protestations du parc Gezi à Istanbul qui font craindre à l’AKP de voir les revendications des printemps arabes se transposer contre son modèle de gouvernance, et pousse dès lors le gouvernement à s’opposer violemment aux manifestants malgré les commentaires de ses alliés internationaux sur les moyens employés à l’occasion [16] . Juste après, ce sont les frères musulmans et Mohamed Morsi, largement soutenus par Erdoğan pour transposer ce type de gouvernement en Egypte, qui sont renversés par un coup d’Etat militaire soutenu discrètement par les Occidentaux, qui commencent à craindre les dérives islamistes régionale. Dans le même temps, le conflit syrien ne cesse de s’enliser dans la guerre civile alors qu’un nouvel acteur s’impose sur le territoire avec Daech, qui appelle à la guerre sainte contre Bachar el Assad puis contre la civilisation occidentale.

Dès lors, l’influence internationale d’Ankara ne cesse de se dégrader, au même titre que ses relations avec l’Occident, à mesure que le qualificatif d’autoritaire est utilisé pour qualifier son gouvernement et que ses alliés de l’OTAN se mettent à soutenir logistiquement une organisation en guerre contre l’Etat turc depuis plus de trente ans. Les milices kurdes de Syrie, financées autant que formées par les Etats-Unis et la France au nom de la lutte contre le terrorisme, sont en effet issues du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK, Partiya Karkerên Kurdistan), qui combat également les forces régulières turques de l’autre-côté de la frontière. Alors que le discours liant Islam et politique est vu d’un œil de plus en plus mauvais en Occident après les attentats qui frappent notamment la France dès 2015, l’AKP campe sur des positions de plus en plus radicales sur la scène politique turque face aux contestations internes. Le gouvernement est même soupçonné de laisser la place à Daech en Syrie [17]

Un an plus tard, alors que la campagne présidentielle américaine bat son plein pour la succession de Barack Obama, une tentative de coup d’Etat avortée en Turquie refroidit à nouveau les relations entre Erdoğan et l’Occident, dans la mesure où le premier reproche aux chefs d’Etats européens et américain d’avoir tardé à lui apporter son soutien lorsque les putschistes tentèrent de s’emparer du pouvoir. Après les deux mandats d’Obama, la surprise de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ne va cependant pas représenter une mauvaise nouvelle pour le gouvernement turc, puisque la politique isolationniste du premier va faire les affaires du second dans la région.

Rapprochement avec Moscou

Remettant tout d’abord en question les fondements de l’alliance atlantique, en questionnant la part du budget américain consacré à la défense de ses alliés [18], le nouveau locataire de la Maison-Blanche a indirectement permis à la Turquie de développer des projets de coopération militaire avec la Russie [19]. Un rapprochement avec Moscou apparu à la suite du prompt soutien apporté par Vladimir Poutine à son homologue turc en 2016 et illustré par l’achat de missiles russes par la Turquie, contre l’avis de l’OTAN [20] Si Washington est bien obligé de sanctionner son allié pour cet achat [21], le fait est que les propres liens du président américain avec la Russie sont sous les projecteurs, et que celui-ci déclare en même temps considérer Erdoğan comme un “ami” de longue date [22]. Du fait de cette permissivité affichée, Ankara a également pu avancer ses pions en parallèles sur des des théâtres d’opérations où ses intérêts stratégiques sont désormais définis en opposition au camp occidental, comme par exemple en Méditerranée Occidentale [23] ou en Libye [24]

Puis c’est à nouveau sur le théâtre syrien où la transformation trumpiste de la diplomatie états-unienne va profiter aux ambitions turques réinventées, dans la mesure où le retrait des troupes américaines du nord du pays va entraîner l’intervention directe de l’armée d’Erdoğan [25] contre les milices kurdes et en soutien aux derniers rebelles syriens. La stratégie de non-ingérence mise en place par Washington pour quatre ans finissant également par porter ses fruits pour la Turquie dans le nord de l’Irak, où les forces d’Ankara vont également s’en prendre aux Kurdes [26], puis finalement dans le Caucase, au Haut-Karabagh. Ce petit territoire, disputé depuis près de trente ans entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, voyant effectivement ses habitants se faire bombarder par des drones et pourchassés par des mercenaires syriens envoyés par la Turquie, afin d’appuyer l’Etat azéri qu’elle considère comme faisant partie de la même nation que le sienne [27]. Or, si le conflit était en suspens depuis 1994 c’était notamment grâce à l’action du groupe de Minsk, chargé des pourparlers de paix et notamment co-présidé par les Etats-Unis à-côté de la France et de la Russie. Et si Moscou a su finalement tirer son épingle du jeu de la réouverture des hostilités en envoyant son armée mettre fin aux combats à la fin de l’année 2020, les Occidentaux ont brillé par leur absence dans les négociations [28]

Incidents entre Paris et Ankara

C’est donc dans ce contexte d’étiolement des interdépendances stratégiques et d’éloignement des pions géopolitiques qu’intervient l’élection de Biden, suite à une campagne présidentielle en partie construite sur la volonté de remettre les diplomates de Washington sur le devant de la scène internationale. Mais les Etats-Unis ne sont pas les seuls alliés historiques de la Turquie en Occident qui ont souhaité lui envoyer un message à travers l’évolution de leur position sur le dossier arménien depuis 2016. La France, qui a reconnu le génocide depuis 2001, a ainsi vu ses relations avec le gouvernement de l’AKP se détériorer profondément depuis 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence, suite à sa décision d’instaurer une journée de commémoration officielle de 1915 tous les 24 avril. Un ancrage du souvenir de 1915 dans les institutions de la République qui a marqué le début de trois longues années d’invectives et d’incidents diplomatiques entre Paris et Ankara, d’une altercation lors d’une réunion de l’OTAN [29] aux insultes proférées par Erdoğan contre son homologue qui provoquèrent le rappel de l’ambassadeur de France en Turquie au mois d’octobre dernier [30]

Si la question du génocide ne semble bien évidemment pas la seule raison de ce refroidissement des relations franco-turques [31], le fait est qu’une même réponse a été adressée par Ankara en guise d’avertissement à Paris et Washington, ainsi qu’à d’autres capitales occidentales, après qu’elles eurent chacune avancé sur la question du génocide arménien, sous la forme d’un rappel des propres crimes commis par ces nations au cours de leurs histoires plus ou moins proches : les massacres commis pendant la colonisation puis les guerres d’indépendance de ces territoires au même titre que son rôle lors du génocide rwandais, pour la France [32] , le génocide des Natifs Américains par les pionniers au moment de la Conquête de l’Ouest, pour les Etats-Unis [33], l’impact du nazisme sur le monde au milieu du siècle dernier pour l’Allemagne ou encore la collaboration des Pays-Bas dans le cadre de la Shoah durant la même Seconde Guerre Mondiale [34] .

Une dénonciation des folies historiques de ses partenaires stratégiques qui précède même parfois la reconnaissance des Etats en question. C’est par exemple le cas de l’Etat hébreu, sans cesse pointé du doigt par Ankara depuis l’arrivée de l’AKP au pouvoir pour sa politique vis-à-vis des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, mais qui n’a paradoxalement jamais voulu qualifier les événements de 1915 de génocide. Une situation étonnante du point de vue de l’histoire même du peuple israélien, et qui s’explique une nouvelle fois plus par les intérêts stratégiques que par les débats internes à cette société. Ainsi, selon Eldad Ben Aharon, il existait un lobby qui avait par exemple une première fois fait pression sur Tel-Aviv pour annuler un colloque universitaire sur les événements de 1915, au nom de la protection des citoyens juifs de Turquie [35] . Les recherches de cet historien prouvant également qu’Israël a réussi à faire de la Turquie un solide allié régional à la fin de la Guerre Froide en proposant une coopération bilatérale entre leurs services de sécurité respectifs, dans le cadre de leurs politiques de lutte contre le terrorisme. Une catégorie désignant à l’époque les Kurdes et les Arméniens s’en prenant aux diplomates d’Ankara au même titre que les Palestiniens visant les intérêts hébreu de par le monde, alors que ces derniers étaient déjà au cœur des préoccupation d’une grande partie de la population turque d’alors [36] .

Calculs géopolitiques

Trente ans plus tard, alors que les discours agressifs de la Turquie vis-à-vis d’Israël se multiplient dans un contexte de reprise des hostilités en Cisjordanie et à Gaza [37]]], la collaboration militaire entre les deux Etats ne semblent toujours pas en danger : à la fin de l’année 2020 des drones “kamikazes” israéliens ont effectivement été repérés visant les populations civiles arméniennes au Haut Karabagh, aux côtés des forces turco-azéries [38] . En suivant le courant de pensée dit réaliste de l’analyse des relations internationales, tel qu’initialement théorisé par Hans Morgenthau [39] et Raymond Aron [40], on peut donc voir ici qu’une décision présentée comme “humaniste” voire “idéaliste” ces dernières semaines par certains médias n’est en fait que le résultat de calculs géopolitiques visant à protéger les intérêts stratégiques d’une nation souhaitant réaffirmer sa puissance à l’échelle du globe. Les différents exemples développés jusqu’à présent montrent effectivement que la priorité des Etats sur la scène internationale est la volonté de prouver leur influence sur tous les autres, et non de défendre des principes ou même des populations qui pourraient pourtant se reconnaître dans leurs propres histoires et valeurs. Une ambition une nouvelle fois illustrée par les échanges d’amabilité entre les présidents turcs et américains ces derniers jours à propos de la situation en Palestine : Recep Tayyip Erdoğan accusant Joe Biden d’avoir “du sang sur les mains” de par son soutien à Israël [41], et le second lui répondant en dénonçant les discours “antisémites” de son homologue à l’encontre des Israéliens [42] .

[1] MINASSIAN, Gaïdz. “En reconnaissant le génocide arménien, Joe Biden renoue avec la tradition humaniste de l’Amérique”, Le Monde, 29 avril 2021

[2] SAYS, Frédéric. “Comment expliquer la Biden-mania ?”, France Culture, 14 mai 2021,

[3] ALSABBAGH, Soufian. “Les républicains et la politique étrangère américaine après Trump : entre néo-isolationnisme et rivalité avec la Chine”, Notes de l’IFRI, 28 janvier 2021

[4] KANDEL, Maya & QUESSARD-SALVAING, Maud. “Les stratégies du smart power américain : redéfinir le leadership dans un monde post-américain”, Etudes de l’IRSEM, Numéro 32, 2014

[5] NYE, Joseph.Bound to Lead : The Changing Nature of American Power, Basic Books, New York, 1990

[6] “Diplomatie : Joe Biden rompt avec la politique étrangère de Donald Trump”, AFP, 4 février 2021, consulté en ligne le 9 juin 2021.

[7] ZARIFIAN, Julien. “The United States and the (Non-)Recognition of the Armenian Genocide”, Etudes Arméniennes Contemporaines, vol. 1,

[8] ZARIFIAN, Julien. “The Armenian-American Lobby and Its Impact on U.S Foreign Policy”, Social Science and Modern Society, vol. 51, N°5, 2014 .

[9] MATOSSIAN, Lou Ann. “Politics, scholarship, and the Armenian Genocide. Perspectives on the ITS Scandal”, Armenian Rep,

[10] CARCELES, Rémi. “Rapprochements et marginalisations autour du gaz en Méditerranée Orientale”, Les Clés du Moyen-Orient, 19 juillet 2019

[11] LACINER, Sedat. “Özalism (neo-ottomanism) : an alternative in Turkish foreign policy ?”, Journal of Administrative Sciences, 2003-2004

[12] ASLAN, Ali. “‘Shared Vision Document’ Period in U.S.-Turkey Relationships”, Today’s Zaman, July 6, 2006.

[13] “Le Premier ministre turc s’emporte contre Israël et quitte Davos”, L’Express, 30 janvier 2009

[14] SALLON, Hélène. “Mavi Marmara”, l’affaire qui a consommé la rupture entre Israël et la Turquie”, Le Monde, 27 mai 2014

[15] “Second set of NATO Patriot missiles in Turkey go active”, Reuters, 29 janvier 2013 .

[16] MARCHAND, Laure. “En Turquie, la répression bat son plein un an après Gezi”, Le Figaro, 10 juin 2014,

[17] SOBEY, Rick. “ISIS and Turkey’s relationship questioned after U.S. raid”, Boston Herald, 28 octobre 2019 pour lutter contre les Kurdes au même titre que contre le régime de Bachar el-Assad.

[18] “Sommet de l’OTAN : Donald Trump a refusé de s’engager sur l’assistance mutuelle”, AFP, 26 mai 2017

[19] CARCELES, Rémi. “Historique des relations turco-russes”, Les Clés du Moyen-Orient, 2 août 2019,

[20] “La livraison de missiles russes S-400 à la Turquie “a commencé”, annonce Ankara”, Le Monde, 12 juillet 2019.

[21] “Washington sanctionne Ankara pour l’achat de missiles russes”, Le Figaro, 15 décembre 2020

[22] “Maison-Blanche : Trump et Erdogan sont “amis depuis longtemps”, AFP, 13 novembre 2019

[23] “Des frégates turques menacent un navire français en Méditerranée”, Le Point, 17 juin 2020

[24] CARCELES, Rémi. “L’enlisement du conflit libyen et le rôle croissant de la Turquie”, Les Clés du Moyen-Orient, 9 août 2019.

[25] “Syrie : prochaine incursion turque, les troupes américaines vont s’éloigner”, L’Express, 7 octobre 2019

[26] WASSERMANN, Lucile. “Les habitants du nord de l’Irak terrifiés par les bombardements turcs”, RFI, 19 juin 2020

[27] CARCELES, Rémi. “L’azerbaïdjan, pays pivot des enjeux énergétiques dans le Caucase”, Les Clés du Moyen-Orient, 26 septembre 2019,

[28] LASSERRE, Isabelle. “Haut-Karabakh : la diplomatie occidentale marginalisée”, Le Figaro, 15 novembre 2020.

[29] POTAY, Stéphanie. “Incident diplomatique avec la Turquie : Sonia Krimi, députée de Cherbourg, menacée de mort sur Twitter”, France 3, 13 avril 2019

[30] “L’ambassadeur de France en Turquie rappelé après une nouvelle attaque d’Erdogan”, France 24, 24 octobre 2020.

[31] BILLION, Didier. “France-Turquie : entre tensions et normalisations : de la difficulté de parvenir à une relation apaisée”, Confluences Méditerranée, 2016, vol. 1, N°96, pp. 71-83

[32] “Erdogan invite la France à revisiter son histoire”, AFP, 17 décembre 2011, consulté en ligne le 11 juin 2021. https://www.lepoint.fr/monde/erdogan-invite-la-france-a-revisiter-son-histoire-17-12-2011-1409676_24.php

[33] WOOD, Vincent. “Erdogan threatens to recognise killings of Native Americans as genocide in response to Armenia resolution”, The Independent, 16 décembre 2019

[34] BEN AHARON, Eldad. “Recognition of the Armenian Genocide after its centenary : a comparative analysis of changing parliamentary positions”, Israel Journal of Foreign Affairs, 2019, vol. 13, N°3, pp. 339-

[35] BEN AHARON, Eldad. “A Unique Denial : Israel’s Foreign Policy and the Armenian Genocide”, British Journal of Middle-Eastern Studies, 2015, vol. 42, N°4, pp. 638-654

[36] BEN AHARON, Eldad. “Superpower by invitation : late Cold War diplomacy and leveraging Armenian terrorism as a means to rapprochement in Israeli-Turkish relations (1980-1987)”, Cold War History, 2018

[37] “Il faut mettre fin au “massacre” des Palestiniens par Israël, dit Erdogan au pape”, AFP, 17 mai [[2021

[38] “Haut-Karabakh : Israël fournit bien des drones à l’Azerbaïdjan pour frapper es cibles arméniennes”, France Info, 17 octobre 2020

[39] MORGENTHAU, Hans. Politics Among Nations : the struggle for power and peace, Knopf, New York, 1948

[40] ARON, Raymond. Paix et guerre entre les nations, Calmann-Lévy, Paris, 1962.

[41] “Gaza : en soutenant Israël, Biden “écrit l’Histoire avec les mains ensanglantées”, fustige Erdogan”, LCI, 17 mai 2021

[42] “Israël-Palestine : Washinton dénonce les propos


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