Jean-Baptiste Ancelot – WINE Explorers
Considérée comme le berceau du vin, la région du Caucase ne cesse de nous surprendre. Parmi les pays qui la composent, l’Arménie y a longtemps fait figure d’outsider ; à tort.
S’appuyant sur une histoire viticole plurimillénaire – en témoignent les plus vieilles amphores au monde retrouvées à ce jour dans les caves d’Areni, datant de 4000 ans av. J.C. – les nouvelles générations de vignerons arméniens insufflent ces dernières années un dynamisme sans limite, tout en cultivant la singularité de leur vignoble.Sous le charme de la région d’Armavir
Bordée au sud-ouest par la Turquie, et à l’est par Erevan (la capitale arménienne), Armavir est la plus petite et la plus densément peuplée des régions d’Arménie.
C’est là que les Eurnekian, une famille argentino-arménien dont les arrières grands-parents avaient dû fuir le régime Ottoman à la fin du 20e siècle, décidèrent d’y établir le domaine Karas Wines en 2010.
“Les sols d’argile et de tuf de la région (des roches volcaniques calcaires), offraient un terroir très intéressant pour la production de vin“, raconte Juliana Del Aguila Eurnekian, la quatrième génération, présidente de Karas Wines.
Bienvenue dans la vallée d’Ararat – entre le Mont Aragats et le Mont Ararat – où ce domaine de 370 hectares (le plus grand vignoble d’Arménie en superficie), s’étend majestueusement, à 1100 mètres d’altitude.
Planté avec une trentaine de cépages internationaux (dont la syrah, le cabernet franc, le tannat, le petit verdot et le montepulciano), on y retrouve également deux cépages rouges autochtones : l’areni noir (1) et le khndoghni (2).
Le climat y est continental, avec des étés secs et chauds. Seul le froid hivernal extrême (atteignant parfois -30°C) oblige à enterrer les pieds de vigne pendant quelques mois, afin de les protéger. “Un travail de titan, certes, mais obligatoire“, explique Gabriel Rogel, l’œnologue du domaine.
Karas Wines aide aussi à revitaliser la région en employant plus de 300 personnes des villages alentours, fournissant ainsi du travail à de nombreuses familles de la région. Une démarche fondamentale pour les Eurnekian.L’Arménie, terre d’autodidactes nostalgiques
L’apogée de la diaspora arménienne fut tragiquement marquée par le génocide arménien (1915-1916). Aujourd’hui, sur une population arménienne mondiale estimée à 11 millions de personnes, à peine 3,3 millions résident en Arménie.
Pour autant, l’attachement des arméniens à leur pays, à leurs racines et à leurs origines n’a jamais cessé de croître. Bien au contraire. C’est le cas de Varuzhan Mouradian, fondateur du domaine Van Ardi Wines, qui après avoir habité 15 ans en Californie (où il faisait de l’audit comptable), a eu le mal du pays.
Passionné par le vin, il dit un jour à sa femme : “Je vais me remarier avec le vin, spirituellement”. Un projet de vie et un rêve : rentrer chez lui, en Arménie, sur la terre de ses ancêtres, pour cultiver la vigne, en autodidacte.
“Mes toilettes étaient ma librairie”, se souvient-il en riant. Lui qui a tout appris dans les livres, achète des terres en 2006, à 20 kilomètres à l’ouest d’Erevan, sur un plateau à 1000 mètres d’altitude.
Deux ans plus tard, il y plantera 9 hectares en kangun et rkatsiteli en blanc, areni noir, kakhet, haghtanak en cépages endémiques rouge et un peu de syrah.
À l’époque, il vit dans les avions et fait des allers/retours fréquents entre les États-Unis et l’Arménie. En 2012, sa famille vient s’installer en Arménie.
“Mes enfants et ma femme y venaient chaque été depuis que j’avais acheté des terres. Ce sont eux qui ont décidé de me suivre et de me soutenir dans cette aventure folle”, raconte-t-il.
Varuzhan Mouradian est un vigneron talentueux et un personnage au grand coeur. Une rencontre que nous ne sommes pas prêts d’oublier.Vayots Dzor, région emblématique et incontournable
Une exploration du vignoble arménien dans les règles ne peut se faire sans la visite de la région de Vayots Dzor, au sud du pays. Vous y trouvez non seulement les caves d’Areni et ses vestiges archéologiques, mais également des vignerons aussi talentueux qu’accueillants.
Comme au domaine Old Bridge Winery, à Yeghegnadzor (dans la vallée d’Arpa), où Armen Khalatyan et sa femme Ashkhen font revivre les cépages locaux arméniens depuis 1998.
Un couple adorable, qui vous accueillera chez eux, vous préparera la meilleure des cuisines arméniennes et rendra votre séjour unique.
Car il faut savoir que pendant la semaine, Armen travaille à Erevan en tant que coordinateur dans l’agriculture, et qu’Ashkhen, elle, est médecin. C’est pendant leurs week-ends et leur « temps libre » qu’ils endossent la casquette de vigneron.
Leurs vignobles sont situés sur la rive droite de la rivière Arpa, à côté du petit village d’Arpi, dominant un pont de pierre du XIIIe siècle, qui faisait jadis partie de la Route de la Soie et qui a donné son nom au domaine.
Perché entre 1250 et 1300 mètres d’altitude, le vignoble – principalement planté en voskehat, areni noir et kakheti – s’épanouit sur de très beaux sols rocheux et sablonneux ; produisant des vins délicieux.Zorah, un vignoble à la renommée planétaire
Nous ne pouvions rêver d’une plus belle conclusion que la découverte du domaine Zorah, dans le village de Rind (région de Vayots Dzor).
Un vignoble confidentiel, avec ses 12 hectares plantés en areni noir, voskéat et garandmak (deux cépages blancs locaux). “Les cépages indigènes sont le futur de l’Arménie”, explique Zorik Gharibian, fondateur du domaine Zorah, à juste titre.
Et un terroir immense : des vignes plantées à 1350 mètres d’altitude, dans une région exempte de phylloxéra, aux sols pauvres de sable et de calcaire. “L’Arménie a tout pour faire des vins incroyables, mais personne ne nous connaît !”, raconte en riant Zorik Gharibian, le fondateur de Zorah.
La cave du domaine est principalement composée d’amphores que Zorik a trouvées et achetées dans les villages du pays, dans un souci de préservation du patrimoine local.
Ses vins rouges sont parmi les vins les plus passionnants et les plus intenses que nous ayons eu la chance de goûter.
Et il semblerait que nous ne soyons pas les seuls à partager cet avis : les vins de Zorah sont pré-réservés sur allocation et vendus sur certaines des plus prestigieuses tables de la planète.
Une reconnaissance incroyable pour l’Arménie et pour Zorik, un visionnaire issu du monde de la mode, qui partage son temps entre Milan et le petit village reculé de Rind.
Qu’il est émouvant de voir avec quelle détermination l’Arménie a su retrouver une partie (3) de son héritage au potentiel viticole inestimable. Car n’oublions pas qu’il n’y a pas si longtemps encore, les soviétiques avaient décidé que l’Arménie serait le pays du brandy (au même titre que la Géorgie serait le pays du vin). Concluons sur cette citation de Charles Aznavour, qui résume subtilement le charme du vin arménien : “Le vin arménien est si particulier ; on le ressent au plus profond de soi, mais on ne peut pas le décrire avec des mots”.
WineExplorers’ment vôtre,
JBA
Pour en savoir plus sur le projet Wine Explorers, 1er recensement global des pays producteurs de vin.
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Merci aux domaines Karas, Van Ardi, Zorah et Old Bridge pour leur accueil chaleureux. Et merci à Lilia Samvelyan, professeur à la National Agrarian University d’Arménie, pour ses précieux conseils.
(1) L’areni noir est un cépage rouge originaire de la ville du même nom, dans le sud de l’Arménie. Grâce à son climat de croissance rude et son isolement géographique, il n’a jamais été affecté par le phylloxéra. Il se caractérise par une peau épaisse qui le protège du soleil, donnant des vins avec une belle acidité et des tanins souples.
(2) Le nom Khndoghni est dérivé du mot arménien “khind”, qui signifie rire. Ce raisin a des tanins élevés et offre un joli potentiel de vieillissement.
(3) L’Arménie comptait plus de 300 cépages autochtones avant l’époque soviétique. On en compte désormais une quarantaine.
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