La cuisine orientale du restaurant du bd de la Libération, à Marseille, fait référence
Guilhem Ricavy
Quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.” (1)
Marcel Proust avait sa madeleine, les Arméniens de Marseille ont leurs dolmas. Leurs keuftés. Leurs mantis. Tous ces plats que nombre d’entre eux ont eu la chance de connaître à la faveur d’un dimanche chez leur “tatik” (“mamie” en arménien) et qui ne retrouveront plus jamais grâce à leurs yeux ailleurs que dans leurs souvenirs.
C’était sans compter les doigts de fée de Silva Karagulian. Ils n’étaient pas faits pour la confection, le métier qu’elle exerçait avec son mari Sebou, avec qui elle a débarqué du Liban en 1981. “Je n’aimais pas ça ; moi, ce que j’adorais, c’était cuisiner, alors je trouvais tous les prétextes pour le faire, tout le temps, pour tout le monde“, sourit-elle avec un doux accent oriental.
Patience et savoir-faire
Jusqu’à ce jour de 2000 où, passant près d’une adresse vacante sur le boulevard de la Libération (4e), elle décide de franchir le pas. Et de vivre de sa passion. Moules farcies (les fameux midia dolmas), feuilletés au fromage (soubeureks), raviolis nappés de yaourt à l’ail (mantis), boulettes de viande et de pilpil farcies (ichli keuftés), feuilles de vigne (que Silva cueille et fait sécher elle-même) sans oublier le soudjoukh et le pasterma (saucisson et jambon préparés aux épices), ingrédients indispensables de mezzés dignes de ce nom… : des recettes arméniennes et libanaises qui requièrent patience et savoir-faire, c’est en substance ce que propose la table du Phénicia, qui tire son nom des origines phéniciennes du Liban. Et certains viennent de loin pour, les uns, s’offrir un voyage gustatif oriental et inédit, les autres une plongée dans la douceur de l’enfance. “D’Avignon, de Toulon, de La Ciotat, énumère Silva. Et j’ai des fidèles de Strasbourg et Grenoble, qui passent toujours quand ils sont à Marseille.” Le week-end, mieux vaut d’ailleurs réserver sa table pour être sûr de trouver place parmi les soixante-quatre couverts (quatorze en surface, cinquante en sous-sol) que le Phénicia peut accueillir.
Malgré les années et les longues journées qui s’enchaînent, de 8 h à 2 h du matin, Silva Karagulian, qui travaille avec sa soeur Annie et sa belle-fille Enora, n’a rien perdu de son goût pour la cuisine et pour les autres. “Je ressens un immense plaisir à faire plaisir à travers mes plats“, confie celle qui ne trouve pas plus beau compliment que celui que lui adressent des clients aux yeux embués : “C’est bon comme chez ma grand-mère.“
(1) Extrait de “À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann” de Marcel Proust. Le Phénicia, 187, bd de la Libération (4e). 04 91 50 43 77.
https://www.laprovence.com/article/papier/5288121/phenicia-larmenie-dans-la-generosite.html
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