İçeriğe geçmek için "Enter"a basın

Sona Ghazarian, la soprano libanaise qui a conquis Béjart, Karajan et Domingo

Cinquante ans après ses débuts à l’opéra de Vienne en 1972, celle qui a chanté sur les plus grandes scènes du monde lyrique des années 70, 80 et 90 revient en exclusivité pour « L’Orient Le Jour », sur sa genèse musicale libanaise et rend hommage à celle qui a détecté son incroyable talent.

Fady JEANBART

Depuis son élégant salon en plein cœur de Vienne, autour d’un bon café… viennois – le fameux Wiener Jausezeit – et de l’incontournable Sachertorte (gâteau au chocolat, NDLR) , c’est avec beaucoup de grâce, de reconnaissance et d’élégante simplicité que la belle soprano libano-autrichienne Sona Ghazarian parle de son enfance à Beyrouth et de ses études au Conservatoire du Liban.

Dépourvue de toute sorte d’attraits que l’on colle traditionnellement et de manière caricaturale aux divas capricieuses et hautaines, Sona Ghazarian irradie de douceur, de gentillesse. Sa personnalité subjugue, certes, et sûre d’elle-même, elle déclare humblement dans un sourire : « Si vous voulez écouter une histoire courte, je dirais :  Vini, vidi, vici » (Je suis venue, j’ai vu, j’ai vaincu, NDLR).

Sona Ghazarian accoudée à son piano dans sa maison à Vienne, en juillet 2024. Photo collection GhazarianSona Ghazarian accoudée à son piano dans sa maison à Vienne, en juillet 2024. Photo collection Ghazarian

Mais comment cette fille de Beyrouth, née le 2 septembre 1945 dans une famille arménienne d’intellectuels, mélomanes et amateurs d’arts, est-elle passée de sa maison de Zokak el-Blatt aux plus grandes scènes lyriques d’Europe et des États-Unis ? 

La fille aînée de Hagop et Anahid Ghazarian a fréquenté le Collège arménien évangélique avant de décrocher un diplôme en psychologie du Beirut College for Women (BCW). Dès l’âge de trois ans, sa mère lui donne ses premiers cours de piano, et à sept ans, elle donne son premier récital, suscitant déjà de bonnes critiques dans la presse. Quand le talent éclot… 

Elle rejoint alors les bancs du Conservatoire du Liban dans la classe de piano de Michel Cheskinoff. Ses autres professeurs se nommaient Toufic Succar, Boghos Gelalian, Georges Baz, Marc-Henri Mainguy, Salvator Arnita et Badia Sabra Haddad. La soprano s’en souvient comme si c’était hier. Les yeux pétillants, des adjectifs s’échappent de sa bouche, l’un après l’autre  : « Émotion, communication, joie et surtout passion. » Ce sont ces mots-clés, qui, un beau jour, l’ont poussée à prendre des cours de chant, assure-t-elle. Un beau jour, donc, elle se dirige tout naturellement vers le bureau du directeur, le Russe Nicolas Dale, pour lui demander de l’inscrire dans la classe du meilleur professeur de chant. Dale l’emmène alors deux étages plus haut, frappe à une porte, une dame élégante sort de la classe. Dans le couloir, le directeur demande : « Cette jeune fille voudrait chanter, pourriez-vous voir si elle a une voix ? »

Le soir en rentrant à la maison, Sona annonce, toute joyeuse, à la famille Ghazarian : « Je me suis inscrite à des cours de chant ! » C’était son entrée avec Badia Sabra Haddad, et le jour le plus heureux de toute sa vie, avoue-t-elle aujourd’hui.

Le premier récital, à 7 ans, de Sona Ghazarian sur le piano de la salle Gulbenkian, au début des années soixante. Avec l'aimable autorisation de l’artiste Le premier récital, à 7 ans, de Sona Ghazarian sur le piano de la salle Gulbenkian, au début des années soixante. Avec l’aimable autorisation de l’artiste 

À propos de Badia…

Sona Ghazarian étudie avec Badia Sabra Haddad durant trois années, au cours desquelles une grande complicité se développe entre la maîtresse et son élève. Badia, ayant décelé immédiatement l’incroyable talent de Sona, l’aide à développer sa belle voix avec une bonne technique qui lui permettra plus tard de chanter sur les plus grandes scènes du monde. Au bout de la troisième année, chose inhabituelle mais vraie, elle décide qu’il était temps que Sona présente son examen de chant. 

Le lundi 27 juin 1967, à 10h du matin, un jury de plus de 12 personnes attend la timide et modeste jeune fille. Les figures incontournables de l’époque sont toutes là : Gelalian, Succar, Mainguy, Baz, etc., ainsi que le chef d’orchestre Raïf Abillama qui s’est immédiatement proposé de l’accompagner au piano. Sona Ghazarian n’oubliera jamais ce jour-là. Il faut dire que Badia lui avait concocté un sacré programme, avec des morceaux de Bach, Haendel, Mozart, Rossini, Brahms, Schubert, Ravel, Debussy ainsi que Complainte de Toufic Succar. La jeune chanteuse réussit haut la main son examen.

Lire aussi Joyce El-Khoury à l’Acropole d’Athènes en hommage à Maria Callas

Son diplôme en poche, ses parents lui organisent un récital avec Abillama à la salle Gulbenkian, puis un second avec le grand pianiste Henri Goraieb au Casino du Liban au cours duquel l’ambassadeur d’Italie, conquis par sa voix, lui octroie une bourse d’étude. Sona Ghazarian ira donc se perfectionner dans les prestigieuses Accademia Musicale Chigiana Di Siena ainsi que l’Accademia Santa Cecilia à Rome, où son talent ne tarde pas à se faire remarquer. À Chigiana, elle obtient le rarissime « Diploma d’Honore » en Opéra et Lied.

En 1970, la jeune femme s’inscrit au Concours international de chant de Bois-le-Duc – International Vocal Competition’s  – Hertogenbosch – aux Pays-Bas, où face à 149 participants, elle chante en finale Caro nome de l’opéra Rigoletto de Verdi, et glane le 1er prix.

La « voix » du destin

En 1972, une voix intérieure l’incite à s’inscrire – un peu tardivement – au prestigieux Concours international de la Musikverein à Vienne, emportant le 1er prix avec O luce di quest’anima, de Linda di Chamonix de Donizetti, et c’en était donc fait ! La direction de l’opéra lui propose un contrat de 3 ans, avec, comme rôle de début, Oscar dans Un ballo in maschera de Verdi. Le célèbre journal autrichien Kurier titre alors en lettres capitales : « UNE ÉTOILE EST NÉE ».

Sona Ghazarian dans « La Traviata » de Maurice Béjart, au théâtre des Champs Elysées, à Paris, en 1973. Avec l'aimable autorisation de l'artisteSona Ghazarian dans « La Traviata » de Maurice Béjart, au théâtre des Champs Elysées, à Paris, en 1973. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Après avoir fait ses débuts à Paris à la salle Pleyel (en 1969), puis au théâtre des Champs Elysées (1973), où elle a frôlé les étoiles en chantant Violetta dans La Traviata de Verdi, mise en scène par Maurice Béjart, Sona Ghazarian rentre au Liban ranger ses affaires, emportant avec elle la pochette que Badia Sabra Haddad lui avait donnée contenant des mélodies de compositeurs libanais et qu’elle a par la suite, en bonne ambassadrice du Liban, souvent chanté ; Min Kul Albi (De tout mon cœur) et al-Marjat al-khadra (Les prés verts) de Georges Farah, Complainte et Tahtel zeitouni (Sous l’olivier) de Toufic Succar, Due Vocalizzi de Boghos Gelalian, Ave Maria de Georges Baz, Ahwal ghazal el-abrabi (Je désire les yeux de la gazelle) et Raieh feine ya msallini (Où vas-tu ?) de Wadia Sabra.

« Beyrouth me manquait, me manque tellement, Mme Haddad surtout. Avant d’entrer sur scène, je regarde toujours vers le ciel et je dis : soyez avec moi ! »

Le reste s’inscrit, comme on dit, dans la grande histoire. Sona Ghazarian foule maintes fois les planches de la Scala de Milan, du Metropolitan de New York, du Covent Garden à Londres, de l’Opéra Bastille à Paris, de la Monnaie à Bruxelles, à Genève et d’autres capitales encore, partageant la scène avec les plus grands chefs d’orchestre et chanteurs, dont Nello Santi, Herbert von Karajan, Sir Georg Solti, Carlos Kleiber, Placido Domingo, Jose Carreras, Alfredo Kraus, Jaime Aragall, Rene Kollo….

« Mon destin était scellé », souffle  d’une manière spirituelle celle qui a endossé plus de 103 rôles. « Je crois en la guidance, et il y avait un guide qui me montrait le chemin. »

Sona Ghazarian dans « La Bohème » de Puccini, au cours des années 70. Avec l'aimable autorisation de l'artisteSona Ghazarian dans « La Bohème » de Puccini, au cours des années 70. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

À la fin de cette délicieuse Wiener Jausezeit, Sona Ghazarian nous ouvre les portes de son immense bureau cossu : « Voilà, telle a été ma vie », dit-elle les larmes aux yeux. Des armoires pleines de photos, d’enregistrements, de brochures de concerts, de lettres, de partitions, etc… De quoi vite prendre conscience que l’on était réellement en présence d’une grande dame dont le Liban peut être fier.

Ses deux fils et surtout son époux ont été, durant tout son parcours, sa principale source d’inspiration, d’énergie et d’amour, tient-elle à souligner pour conclure l’entretien.

Sona Ghazarian n’est malheureusement plus jamais retournée dans son pays natal mais garde précieusement dans son cœur la mémoire d’un Liban … qui n’existe plus.

https://www.lorientlejour.com/article/1426775/sona-ghazarian-la-soprano-libanaise-qui-a-conquis-bejart-karajan-et-domingo.html

İlk yorum yapan siz olun

Bir Cevap Yazın