İçeriğe geçmek için "Enter"a basın

Halil Berktay : `Le paysage intellectuel en Turquie a changé sur le génocide arménien´

AP/PATRICK GARDIN

Vous êtes présenté comme la première figure turque à avoir reconnu la réalité du génocide arménien en Turquie. Quelle a été votre démarche ?

Les premières voix turques dissidentes, critiques du discours nationaliste officiel, sont venues, dans les années 1990, de Turcs résidant à l’étranger, tels Taner Akcam, Fikret Adamir ou Fatma Müge Göcek. En octobre 2000, je fus le premier historien travaillant en Turquie à donner une interview pour dire ce qui pousse à croire que les massacres de 1915-1916 répondaient à des ordres de l’Etat, illégaux et secrets. Mes propos ont paru dans un quotidien national, Radikal, et non dans des revues confidentielles. Cela a provoqué une immense fureur, et ce fut une brèche dans le mur du silence.

Mais cette brèche ne s’est guère élargie ensuite ?

Au contraire. De plus en plus de voix se sont alors élevées. En septembre 2005, nous avons pu organiser une conférence sur les Arméniens et le déclin de l’Empire ottoman. Ce qui a mis en exergue une réalité qui ne plaît pas du tout à nos milieux dirigeants nationalistes, à savoir qu’en moins de cinq ans le paysage intellectuel en Turquie a changé. Ce n’est plus un groupe de marginaux, mais une large couche d’universitaires, et les journalistes les plus connus, qui pensent à l’opposé du discours négationniste officiel, ou semi-officiel.

Les lois reconnaissant le génocide arménien adoptées à l’étranger ont-elles eu un effet ?

Un effet complexe, contradictoire. Car toute solution durable de cette question suppose une démocratisation de la Turquie. Le déni de la réalité est un problème qui fait partie de la tragédie de la société turque. Il doit être surmonté en Turquie. Ce que d’autres pays font est certes important, mais finalement secondaire.

Comment expliquer l’amnésie collective en Turquie sur ce passé ?

La Turquie moderne, née en 1923, n’avait aucun intérêt à entretenir la mémoire de ce qu’ont fait ses prédécesseurs. Les puissances occidentales, alliées de la Turquie, non plus. Après des décennies de refoulement imposé, il y a un gouffre entre ce que le monde sait sur ce passé et ce que la société turque, dans son ensemble, croit savoir en toute sincérité. Après les attentats de l’Armée secrète pour la libération de l’Arménie (Asala, dans les années 1970 et 1980) visant des diplomates turcs, la politique du silence fut remplacée par celle du déni.

La seule riposte possible, c’est de parler, et de se faire entendre. Certains succès sont déjà là. La répétition hypocrite des clichés négationnistes a beaucoup diminué. Mais ce n’est qu’un début. Nous sommes en train de créer graduellement les conditions d’un débat normal, sans hystérie, imprécations, terreur psychologique et menaces de lynchages. La solution ne peut pas venir d’une décision autoritaire, par le haut.

Mais cela peut aider ?

Il faut être réaliste : l’establishment va traîner des pieds. C’est à la société civile de faire le travail. L’Histoire suggère d’ailleurs que le despotisme éclairé, ça ne marche pas. Le dynamisme doit venir des mouvements d’opposition. Or il y a une tendance actuellement en Occident, y compris en France avec le projet de loi criminalisant le déni du génocide arménien, à vouloir imposer des solutions à la Turquie sous forme d’ultimatums. Mais la politique n’a pas à dicter les savoirs.

L’expérience du XXe siècle devrait suffire à s’en convaincre. Il faut des débats ouverts, libres, forcément lents. Il ne s’agit pas d’approuver ou non ces crimes. On peut criminaliser le fait d’en faire l’apologie, mais peut-on juger criminelle une opinion sincère sur l’Histoire ? Voyez les débats sur les très nombreux cas où on parle de génocide. Où mettre les limites ?

Quelles seraient en Turquie les effets d’une adoption de la nouvelle loi en France ?

Ils seraient désastreux, avant tout pour l’action des démocrates. On peut craindre que le Parlement turc n’adopte une contre-loi, criminalisant la reconnaissance du génocide. Il y a en ce moment une forte vague nationaliste, anti-européenne, en Turquie. Ces forces seraient ravies de voir l’Europe refuser l’adhésion de la Turquie. Elles la verraient volontiers isolée comme une Birmanie.

Si la France adopte la loi, elle se privera des moyens de faire pression contre une telle évolution. La France des droits humains se sera tiré une balle dans le pied… Le parti du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a tenté de se montrer plus flexible sur les causes nationales, dont la question arménienne. Mais il est en butte à de vives pressions. L’adoption du projet de loi en France serait une invite directe à son parti de se débarrasser de ses habits européens.

Yorumlar kapatıldı.